jeudi, août 30

6 - Liberté de l'espace
Liberté de la forme
Liberté des éléments

J'ai écrit ce texte suite à notre première expédition à la Baie James, en 2002. Par la suite il a servi de base à un éditorial paru dans Le Jumelé, en mai 2006. Depuis, la situation du peuple cri s'est détéroriée en regard de ses droits territoriaux, de ses territoires traditionnels de chasse, de pêche et de trappe.




Les instants se poursuivent sans séquences et le temps s’écoule sans cadence dans un tout a priori sans heurt. Le soleil ne semble pas vouloir disparaître et restera ainsi suspendu durant cette courte nuit, à la ligne d’horizon, projetant sur La Grande Rivière son voile ocre et enveloppant. Nous sommes au 55 è parallèle. Le bruit des turbines hydro-électriques de Radisson ne se rend pas jusqu’ici.

Chisasibi et Fort Georges sont au bout de la route. Un ours blanc visiblement égaré nage le long de la Baie, quelques chiens trottent sur la route de terre battue, les dernières fumées s’échappent des tipis, le cours de l’eau semble calme et limpide et le harfang des neiges nous rappelle par son battement d’aile que le jour se lève : il est 3 heures du matin.

Me voilà dans un autre monde et nous sommes toujours au Québec. Un monde qui n’a de limites que le temps qu’on lui donne, face à une société qui collectivement choisit d’accoler le pluriel des cultures au singulier du temps… n’est-ce pas étrange ?



Plus au sud, les débats commencent à s’émoustiller et cela est nécessairement une bonne chose. On y parle de multiculturalisme, d’interculturalisme, d’immigration, de réfugiés, d’accueils, de devoirs, de responsabilités et de partages. On regarde et on écoute, celles et ceux qui entrent… celles et ceux qui tentent de se frayer un chemin à nos côtés… celles et ceux qui veulent bâtir avec nous… celles et ceux qui ont choisi de nous rejoindre. Des témoins d’ici et d’ailleurs s’offrent de partager les moments d’ici colorés de ces multiples ailleurs.

Et en même temps je me questionne aussi… sur ce qu’il reste d’eux, ceux de l’intérieur. Ceux du nord, rattrapés par l’asphalte et par le bruit des turbines et que l’on ne cesse de déporter depuis plusieurs décennies.
« On se dit que le Canada est un pays qui respecte les droits de la personne, mais il n’est pas toujours à la hauteur de ses engagements » déclarait Elizabeth McWeeny, présidente du CCR (Conseil canadien pour les réfugiés). « Avec les peuples autochtones, les réfugiés et les immigrants sont ceux dont les droits sont le plus souvent violés au Canada. »

Voilà tout juste trente ans que la vie des autochtones de la Baie James a pris la forme de villages permanents: Chisasibi, Waskaganish, Wemindji, Eastmain, Nemaska, Mistassini, Oujé-Bougoumou enracinent et confinent peu à peu leurs communautés aux nouveaux modèles venus du sud. “ En nous mettant des routes, des trottoirs et des clôtures autour de nos maisons, on nous oblige à suivre les modèles du sud (…) c’est aussi plus facile et plus tentant pour nous, d’aller nous perdre vers Chibougamau ou Val d’Or par exemple. ” confiera un membre de Waswanipi, rencontré plus au nord, au coeur de la taïga.

Pourquoi faut-il nécessairement laisser aux forces économiques le soin d’intégrer socialement les Hommes ?


Nous y voilà… Nemaska, Old Nemaska… belle et magnifique terre, cachée dans un des recoins du lac Champion et qui a vu naître tous les aînés de sa communauté depuis près de 4000 ans. La mousse des caribous y est épaisse. Le rire des enfants y est indescriptible. Le bois y est nourricier en même temps que son eau et le temps là encore, semble être inséparable de l’espace. Et pourtant.
La main de l’homme cherche une nouvelle fois à y faire sa marque, à trancher dans le vif de cette terre à peine cicatrisée, à jouer aux apprentis sorciers en y déviant un fleuve, en y noyant des terres, en en asséchant d’autres, en polluant une richesse plusieurs fois millénaire, dont elle n’est pas dépositaire, en acculant une fois de plus, le plus petit des villages cris dans ses moindres retranchements.
La Rupert est un fleuve, puissant, sauvage, libre, riche et sain, que nous nous apprêtons à faire disparaître de toutes les cartes du monde, aujourd’hui et pour toujours. Imaginerions-nous un instant faire dévier le fleuve Saint-Laurent depuis Montréal vers Ottawa, assécher toute sa vallée jusqu’à Tadoussac et inonder tout l’Outaouais pour permettre aux États-uniens de s’approvisionner en électricité ? C’est exactement ce qu’il va se passer… Mais là-bas, là-haut, plus au nord, ils ne sont pas 4 ou 5 millions à être directement touchés, il ne sont que 12 000…Cris. Malgré tout nous sommes 7 millions à être concernés, pour nous et pour nos descendants.
Bien sur, il y a eu la Paix des Braves que les Cris ont accepté de signer, renonçant à leurs terres contre un substantiel dédommagement financier et une promesse d’emplois de cinq ans pour quelques centaines d’entre eux. Mais sait-on réellement ce qu’ils ont accepté ? Sait-on que les Cris s’abstiennent tout simplement de se déplacer quand ils sont en désaccord avec quelque chose ? Sait-on assez que nous sommes, gens du sud, tellement aliénés au temps et à un modèle économique limité que nous définissons le projet Rupert-Eastmain, comme le projet de la décénnie… de la décénnie ?
Quelles réelles visions d’avenir pouvons-nous avoir sans une conscience aiguisée de nos responsabilités collectives, sans une remise en cause permanente de nos modèles, de nos acquis et sans la perception de ce qu’une plus-value liée au travail puisse ne pas être économique mais sociale ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La bataille dont il est question ici en est une de taille. Sommes-nous capables de tels combats et avons les connaissances suffisantes pour évaluer les effets bénéfiques ou perverses de si grands projets.
Quand les habitants des vieux pays sont venus en Amérique pour y commercer, ils apportaient déjâ les germes de la conquête et de la subordination, et ils y ont excellés.
Avec le recul nous comprenons que les premiers résidents méritent d'être entendus et dédommagés pour les inconvénients de l'invasion mais rappellons-nous que la guerre n'est pas terminé et qu'elle se perpétue encore et pour longtemps; il n'y a pas de terme à la guerre il n'y a que la continuité et les traités.
Socialement et économiquement nos descendants rencontreront les mêmes problèmes et composeront avec en agissant eux aussi en conquérant et en perpétuant les profils des premiers arrivants.
Ou alors sommes-nous prêts à abandonner nos vieux clichés d'économies florissantes et à retourner dans nos bois pour y chasser et pêcher comme les tribus y ont droits, nous y découvriront alors une autre pollution?
Il y a onze tribus au Canada que l'on peut associer à des familles pour les besoins du discours, sommes-nous prêts à traiter avec chaque familles individuellement?
N'est-il pas temps de nous traiter tous également et pourrons-nous avoir les mêmes droits de pêche et chasse que les premières nations.
Cela étant dit, j'aime ce blog.